





Le rêve, le mythe, la technologie ordonne l’œuvre de Neculai Paduraru. Son univers est imprégné par la mythologie vécue comme une réalité quotidienne, ses gestes et faits lui viennent de loin. Nicolae Paduraru est avant tout un bon médium, la main suit les visions précises et fugaces.
Le bestiaire insolite mis au monde par l’artiste compose son Grand Livre des Métamorphoses dont les chapitres s’appellent Technomythologies, Le Rêve de Juganu, Chimères, Le Jardin aux rêves, L’Homme-trompette, Voyages imaginaires, Le Mur. Tous les cycles recèlent sans distinction dessins sur papier, peintures et sculptures. Les créatures improbables qui nous interpellent semblent sorties des amours incestueuses entre l’homme et la machine. Nous sommes en présence d’une cosmogonie onirique et les êtres hybrides qui en résultent, avec des articulations qui imitent celles des machines, serrés dans des sangles, fixés aves des clous, des vis et des fils de fer, pourvus de tuyaux, d’engrenages complexes, d’ailes, de boutons et de spots à la place des yeux semblent mieux adaptés pour appréhender le monde. Rien ne manque à cet univers parallèle, les hommes, les dieux – Athéna, Hermès, Héphaïstos, Aphrodite et sa jambe gracieuse, bien qu’enserrée dans des articulations métalliques, les demi-dieux – Castor et Pollux, le Cheval de Troie, le Roi et la Reine, sorcières, courtisanes, danseuses, Roméo et Juliette, les Amoureux de Sagna, des mariées, oiseaux et nids mécaniques. D’autres créatures, L’Homme-trompette, dont le corps est une prolongation de l’instrument nommé, La Femme-qui-voit-tout, ayant à la place des yeux deux tuyaux munis de senseurs, les Muses et leurs complexes installations vouées à capter les flux qui traversent l’univers, confirment et renforcent l’exaltation sensorielle qu’apporte la fusion homme-machine.
Proche parfois iconographiquement des expérimentations Dada, citons les collages de Raoul Haussmann ou les dessins mécanomorphes de Picabia, ou du constructivisme, la création de Paduraru relève d’une conception de l’art qui, même si les a assimilés, se situe aussi loin de la rage destructrice du premier, que du géométrisme du second. Il est plutôt, conceptualisme en moins, du même côté de ce que Marcel Duchamp appelait « ironisme d’affirmation » et qu’il prenait soin de distinguer, dans ses Notes, de l’ « ironisme négateur dépendant du rire seulement ». La Mariée mise à nu par ses célibataires, même, le chef-d’œuvre resté inachevé de l’Anartiste, aride allégorie du désir, donne une interprétation « mécaniste, cynique du phénomène amoureux » (André Breton), mettant en scène des machines réalisées « sur le mode du dessin industriel, impersonnel ». Il n’y a chez l’artiste roumain ni Machines célibataires, ni Abstractions mécaniques, ni exercices de virtuosité dans le genre iconographie des machines, ni représentation apocalyptique de la réification de l’homme. Essentiellement poétique, sa vision concilie formes archétypales et technologie moderne.
Certains dessins regroupés dans le cycle Voyages imaginaires, l’espace rêvé du Possible où toute contrainte est abolie, rappellent ceux des Carnets de Léonardo représentant armes, engrenages, moulins, métiers, machines de guerre ou Le Grand Oiseau, la machine à voler. D’autres, Etat d’esprit, plusieurs Danseuses ou Les Trois Mages sont des dessins automatiques, plus près des productions d’André Masson ou d’Henri Michaux. D’ailleurs le surréalisme est un penchant naturel chez Paduraru, comme en témoignent l’omniprésence du rêve et la focalisation quasi exclusive sur ce que Breton formulait comme exigence absolue pour l’œuvre plastique surréaliste : « le modèle purement intérieur ».
Excellent dessinateur, Paduraru ne s’emploie jamais à rendre avec fidélité le contour épuré des objets, ses ensembles mécaniques semblent fabriqués par les premiers forgerons, un détournement vers l’obsolescence et vers le vivant. Vision archéologique de la modernité, qui se trouve engloutie dans le mythe.
Les croquis, les esquisses et les ébauches préparatoires de ses sculptures sont souvent des œuvres à part entière, abruptes et mystérieuses. L’inachevé est un intensificateur d’expressivité. Dans les œuvres finies, le plus souvent en bronze, mais aussi en plâtre ou en bois, coexistent le modelage fini, maîtrisé et les zones rugueuses, sauvages, signes d’une gestation infinie.
Dans son atelier de Bucarest, où il passe la plupart de son temps, Neculai Paduraru vit comme un sage bouddhiste au milieu de son jardin austère, mais traversé de sèves secrètes. Avec les gestes du sage, qui sort des longs moments de contemplation pour couper une branche qui dépasse, enlever une feuille séchée, déplacer une pierre, corriger le contour parfait d’un buisson, l’artiste se lève et s’arrête ici et là, pour tailler, dégrossir, ciseler, donner un dernier coup de main qui n’est jamais le dernier.